Ahhh ce vent… Ça faisait longtemps. C’est un spectacle à lui tout seul. Des bourrasques violentes et puissantes qui remuent le jardin. Les feuilles tombent sec. Les arbres valsent avec le courant, menacent de s’arracher d’une seconde à l’autre. Les débris s’élèvent en grands tourbillons s’abattent sur la véranda, produisant des claquements plusieurs fois
réitérer comme des caniches contre un rocher.
Et les chaises en bois ou en plastique se frôlent, glissent et flottent dans tous les sens puis se
mêlent à la cérémonie. Idée reçu stéréotype d’une séance de spiritisme. Les seaux en acier croassent et gesticulent avec force dans tous les sens. Tout à coup grincent des éclaircies au loin illuminant tel un
stroboscope la scène. C’est la fête.
Puis Yves, le vent s’abat de plus en plus fort. Les chats aboient dans le quartier. C’est l’affolement pour ceux qui subissent, le monde à l’envers. Il est deux heures à l’ abri dans l’immense villa vide. L’écho des portes et fenêtres de bois qui vibrent semblent céder d’une
minute à l’autre, vibrent et claquent comme si Swagman possédé tentait de les ouvrir.
Yves veut entrer ! C’est ainsi que je l’ai baptisé. Oui, Yves veut entrer à tout prix et s’engouffre dans les cavités extérieur des orifices, du foyer, produisant un
grandement extraordinaire. On croirait une bête s’accouplant avec un instrument à
vent. Comme stimulés par l’atmosphère catastrophique, les chiens sur deux pattes se
bataillent en miaulant et les oiseaux râlent : Halléluia !
Là, pendant un instant, on penserait qu'Yves s'est apaisé. Instant d’hésitation : « Yves » ce n’est pas assez scientifique pour nommer un vent. Mais non ! Il
REVIENT ! Il revient en toute-puissance creuser les tréfonds de la terre ! Rode autour de la villa repoussant ces moindres angles et ces moindres courbes, au point de raclée la
peinture, lui faisant chuté d’énormes croûtes d’adolescente.
Les taules de la cabane au fond du jardin finissent par s’envoler avec un mouvement rotatif et se
plantent net au sol. Semblant de Shuriken,
provoquant par l'entrechoquements de ces dents une musique assourdissante. Et au diable la
science, Yves, c’est très bien et c’est breton ! C’est comme la mer.
Yves suit sa course, entraîne les sachets plastiques dans les allers, participe au ménage et à la
symphonie du spectacle. Crac ! Là, un arbre à céder ! C’est l’apocalypse, les sachets Eco+ s’éventre sur les branches nues et
le chaos se poursuit. De puissantes vagues cognent les murs, tout est sous pression et ça
mousse. Encore un autre qui craque à l’impact d’une bourrasque ! On dirait la manif du CPE !
Encore un ! Ce n’est pas possible ! Il va me niquer tout le jardin. Mais j’aime le bruit du bois qui succombe à cette force, ces craquements langoureux et irréguliers des
veines. Quelle puissance ! Quelle dance ! On aimerait le rejoindre ! On aimerait sortir s’y jeter à corps perdu, se faire transpercer par une rafale et être emmené ou bon semble à
Yves. Dommage que je ne suis pas léger, je n’aurais pas dû manger ce couscous ce soir.
Après quelques heures, on entend des coqs faire les coqs et le vent semble s’être
calmé. Derrière la fenêtre, lumière éteinte, j’eut l’impression de voir un porno wagnérien. Yves chevauchant les
Walkyries au Viêtnam.
Et puis comme à la fin de toutes musiques, on se met à songer, à digérer. Je repensais à une nuit d’excursion dans les hauteurs de la Schwarzwald. Une cousine germaine d’Yves nous avait rendu
visite. On en a plus chié que ces chiens errants, ces hommes en devenir.
Je repense aussi à ces caniches derrière leurs écrans et pancartes souhaitant sauver la
nature… Comme si elle avait besoin de nous. Si elle le voulait, elle nous balaie en un claquement de plaques
lithosphériques. Un jour à sa merci, Gaïa ne fera pas de différence entre un homme et un
grain de sable. Comme ces débris nos corps viendront souiller la véranda de leurs
sangs. Certes, il vaut mieux s’en faire une amie. Mais faire connaissance avec ce genre de dame n’est pas affaire de Nutella et d’amérindiens. Sauvez-vous plutôt et fermez là !
Sfax, Hiver 2015.